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20 février 2008

Elucubrations vélocipédiques

Elucubrations vélocipédiques

V

ous faites part, dans un i-m@il qui m’est importunément parvenu, de votre hostilité envers une proposition électorale d’une association pantinoise — solennellement dénommée Réappropriation Communale qui réclame la traduction pour les habitants non francophones de notre ville, des documents administratifs et des bulletins d’information municipaux afin de faciliter leur participation au débat public. Cette demande vous fait craindre qu’elle ne renforce les barrières linguistiques et accentue, de surcroit, le repli sur soi d’une partie de la population : n’ayant plus à fournir beaucoup d’efforts pour comprendre ou être comprises des autres, ces personnes seraient alors spontanément encouragées — par cette mesure inappropriée — à ne plus quitter leurs ghettos ; où les flammes de l’enfer communautariste anéantiraient ad aeternam tous vos (nos ?) espoirs laïques et républicains.

Compte tenu de notre passion commune pour le vélo, je me sens l’obligation morale de calmer vos ardeurs à pédaler comme une dératée en poursuivant de faux problèmes. Car, à moins de réhabiliter le garde-champêtre pour tambouriner les avis à population dans les quartiers sensibles à cette délicate attention rétro, nos réappropriateurs inappropriés paraîtront bien indigents pour présenter à leurs administrés indigènes ou allogènes (de la République) des textes écrits dans des langues qui sont demeurées pour la plupart orales. En effet, sans instance normative1 qui fixe le code écrit, une grande partie des dialectes afro-boréals, subsahariens, indiens ou de chine continentale, ainsi que le breton, l'auvergnat, le corse (?) ou le belge (liste non-exhaustive) sont lus par de trop rares érudits. A cette liste, accordez-moi d’y ajouter notre sabir nictamérien local dont la récente parution d'un dictionnaire céfran/français a couronné les louables efforts lexicographiques d’un « prof » du collège Jean Jaurès; efforts aussi pour se faire comprendre du plus grand nombre et tenter, par là même, de calmer les craintes de nos concitoyens à son égard2.

Délicate attention pédagogique venant consolider celle d'une tête (de pont) de la philosophie en déconstruction qui, il y a déjà un bail, nous éclairait sur « cette zone hors-la-loi " à l'intérieur du français ", ce degré zéro-moins-un de l'écriture qui pouvait se laisser interpréter comme  un mouvement d'amour ou d'agression envers toute langue donnée, pour lui donner ce qu'elle n'a pas et qu'il n'a pas lui-même »3.

A la lumière de ces propos, on peut se demander alors, si l'apophtegme j'te niquerai jusqu'à ce que tu m'aimes, nouvel " hymne à la joie " des tournantes et véritable cri du coeur du rap le plus sauvage, ne doit pas s'entendre comme une tentative à sec d'actualisation de ce processus d'enculturation (sic).   

De ces heureuses ou fâcheuses  constatations, nous pouvons donc conjecturer  — sans trop s’aventurer sur les rivages nauséeux de l’autosatisfaction du passé colonial — que les rares personnes qui savent lire et écrire ces langues académiquement ignorées ont eu aussi le bon goût ou l’occasion d’apprendre assez de rudiments de la langue de Tintin  pour en comprendre grosso merdo l’indigente prose politique et administrative dont nos inappropriés candidats pantinois sont les seuls (avec vous semble-t-il ?) à s'y intéresser. Quant aux autres...

Ces modestes remarques vous auront-elles apaisée ? Pas si sûr. Peut-être serait-il bon alors de s’octroyer un petit répit avant de continuer ? J’en profiterais pour vous muscler les neurones par quelques exercices d’assouplissement idéologique qui vous permettront d’aborder plus sereinement le 1er tour des élections municipales. Et d'abord, calmer vos inquiétudes à propos de problématiques qui agitent trop souvent, à mon goût, le débat politique.

Vous ne seriez pas la première, en effet, à vous demander que faire pour vivre-ensemble-entre-soi-avec-contre-sans-sur-eux-les-autres 4 ? Ou, dans une formulation moins obscure, comment peut-on être persan ou français ? Persan et français ?! Belge ou wallon ??!! Belge et belge !!! Autant de questions qui bornent par les réponses qu’on y attend les contours d’une communauté idéalisée afin d’exclure éventuellement ceux qui ne s’y conformeraient pas. Partager cette option droite de droite, c’est soutenir que la langue est un puissant marqueur identitaire, voire un discriminant que l’on doit défendre contre le libéralisme multilinguistique et la désagrégation des liens de solidarité et/ou de servitude communautaire que l' im-mondialisation invite (ou force) à dépasser, pour nous imposer un cosmopolitisme de bon aloi paré de toutes les vertus pacificatrices. En face, à un tour de pédalier, l’option gauche de gauche claironne son espérance eschatologique en une Babel réconciliée avec elle-même : corollaire linguistique des principes hypostasiés dans la déclaration des droits de l’homme et projet œcuménique que je ne peux m’empêcher de rapprocher de l’injonction évangélique, « aimez vous les uns les autres ! » ou dans sa version moins christicole concurrente de l'aspiration théologale à l’unicité 5 ®(تَوْحيد). Mais pour réaliser cet idéal de pureté, les langues doivent être dépouillées de leurs attributs identitaires — du passé, faisons table rase ! — qui rappellent trop notre humanité barbare, pour devenir de simples outils de communication, des sortes de jetons neutres indistincts, déposés sur le damier sans case d'un monde enfin devenu sans histoire. Fin de l'Histoire aussi mortifère, par ailleurs, que celle que nous promettaient les stratèges de la guerre froide après l'holocauste nucléaire. Resquiescat in pacem!

Arrêtons là notre p(r)ose et redescendons sur terre avant que l'ivresse des cieux ou des profondeurs ne s'empare de nos esprits vagabonds et nous fasse oublier notre but. 

L’attente des lendemains qui déchantent se faisant longue, nos pantin(oi)s gauches de gauche (ou à la gauche de la gauche) 6 ont du temps à dépenser pour réactualiser sans fin leurs rêves — j’aurais pu dire cauchemars mais vous m’auriez accusé de faire de l’ironie ; d'où l'utilité de cette campagne électorale qui leurs semblent un bon moyen pour nous les distiller. Ce faisant, est-il bon qu’ils abandonnent ces illusions ? Avec le risque de sombrer dans je ne sais quelle mollesse social-démocrate, délaissant ainsi les promesses d'un avenir irradié de leurs bonnes intentions au profit, trop peu enthousiasmant, d'une gestion performative de l'infamie capitaliste. Pire, est-il souhaitable qu'ils se perdent — comme moi-même — dans le désœuvrement postmoderne, désenchantés, orphelins ou naufragés des grands récits d’émancipation humaine ?

Puisque vous avez eu assez de force pour me lire jusqu’ici, je suis certain Marie Dominique-C., que vous laisserez vaquer nos dinosaures politiques à leurs douces espérances car vous ne sauriez souhaiter à votre pire ennemi ce que le temps d’une lettre je vous ai fait subir.

Bonne route & salutations vélocipédiques.

Un bobo à vélo.   


1.   Agences de qualification, de contrôle et de standardisation de la langue écrite sous les coupoles desquelles de vieux barbons (évêques, maréchaux, publicistes variés ou avariés, immortels autoproclamés, etc..), y congèlent les bons usages, croyant par là conjurer leur propre décomposition.     2. Combien d'années faudra-t-il encore attendre pour ne plus s'épouvanter des pratiques sodomites de ce verlan qui s'amuse à prendre les mots par derrière ?  3.  Cf. Jacques Derrida, Le monolinguisme de l'autre, Paris, Galilée, 1996.  4. Rayez les mentions qui vous semblent inutiles!     5. Marque déposée d’un produit dopant autorisé. Alors que la taxinomie marxiste le classe parmi la famille des plantes opiacées dont les effets secondaires se révèlent gravissime chez les encastreurs de Boeings, l'Internationale cycliste nous refuse l’EPO qui paraît pourtant, en comparaison, un adjuvant bien inoffensif pour l'organisme en mal de performance. Chercher à comprendre ce mystère, c'est « aller qwèri St-Pire à Rome », comme nous le rappelle une expression d'outre-quiévrain, pleine de sagesse — une fois.    6. Je préférais le bon vieux temps où, à l’abri de l’Armée dite Rouge, on pouvait les traiter impunément de gauchistes.

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